Petite histoire de l'orgue...
L'orgue aurait été inventé par Ctésibios, un mécanicien grec célèbre qui vivait à Alexandrie, vers 250 ans avant Jésus-Christ. Il est également connu pour son clepsydre, qui rythmait le laboratoire du Museum d'Alexandrie. Cet orgue, moitié machine, moitié instrument, avait pour nom l'hydraule. Sa description nous est parvenue grâce à Vitruve (IIème siècle avant JC), alors que Philon, de Byzance, à la même époque, définit l'hydraule comme "une syringe soufflée par les mains".
A Rome, l'orgue connut un vif succés; joué notamment par les empereurs Néron ou Sévère, il était utilisé également pour les jeux du cirque ou les massacres du Colisée. Plusieurs auteurs nous parlent de l'hydraule : Pline (qui cite Ctésibios), Tertullien, Cassiodore, Saint Augustin. Des monnaies, médailles ou mosaïques nous le décrivent : Mosaïque de Nennig (IIème siècle), obélisque de Théodose à Constantinople (fin IVème siècle), contorniate de Valentinien III (Vème siècle), sarcophage de Julia Tyrrania (Arles, IIème ou IIIème siècle), etc.
Quelques demeures gallo-romaines accueillaient des hydraules et si les barbares détruisirent presque tout, quelques traces en ont été retrouvées, notamment dans le midi de la France.
L'Empire d'Occident s'écroule au Vème siècle, mais celui d'Orient subsiste. Et l'hydraule également ! La tradition de sa facture est maintenue en Syrie, en Israël et à Constantinople. Là, muni de tuyaux d'or et d'argent, il accompagne les cortèges ou les festins du Basileus.
En 757, l'empereur Constantin Copronyme voulut faire un cadeau à Pépin-le-Bref. Il lui envoya un orgue, instrument qui était alors inconnu chez nous et qui, semble-t-il, fut installé non pas en l'église Saint-Corneille de Compiègnes, mais dans la villa royale. Le prêtre Georges, qui fut abbé de Saint-Savin, en terre poitevine, exécuta ou fit exécuter plusieurs copies de l'instrument, notamment à Aix-la-Chapelle et dans son abbaye, qui semble être le premier lieu de culte ayant accueilli un orgue.
Bientôt, l'usage d'un tel instrument se généralisera en Europe.
Au Moyen-Âge, il est utilisé comme source de divertissement, ou de loisir, dans les châteaux.
Au Quatorzième siècle, on installa un deuxième clavier au dessus du seul clavier qui existait jusqu'alors, et on mit un clavier aussi pour les pieds, appelé pédalier. C'est à cette époque que chaque pays d'Europe construira des orgues avec un caractère propre. A partir du Dix-septième siècle siècle, notre pays construit les premiers grands instruments comme ceux, à Paris des églises St Etienne du Mont ou St Louis des Invalides. C'est également en France que fut construit le premier orgue dit romantique, et ce dans la Basilique de St Denis, à côté de Paris, une église qui fut le premier édifice gothique érigé en France.

La littérature qui lui est rattachée a donc connu autant de changements que sa facture. Entre le premier instrument installé sur le sol français et le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice, à Paris, il y a autant de différences qu'entre les murs de Lascaux et les peintures de Soulages.

Il est assez vain de noter les évolutions en termes de progrès dans le domaine de la littérature pour orgue. L'Astrée est-il un ouvrage moins important que les Misérables ? Sans doute, est-ce néamoins à l'époque baroque que la technique du clavier commence à changer en profondeur, permettant une expression jusqu'alors plus contenue, mloins virtuose. Deux grandes écoles de cette époque baroque se distingue, l'allemande et la française. Outre-Rhin, Kerll, son disciple Johann Pachelbel et Gottlieb Muffat, pour ne citer qu'eux, appartiennent tous trois à l'école du Sud influencée tant par la facture que par les compositeurs d'Italie.
Il en va tout autrement des compositeurs de l'école du Nord dont le plus célèbre est Dietrich Buxtehude. Aux toccatas, chaconnes et canzones du Sud s'opposent les chorals, les vastes préludes et fugues et les passacailles du Nord, d'une écriture plus virtuose faisant largement usage du pédalier. Les instruments, plus imposants, comptent souvent plusieurs claviers et de nombreux registres. Johann-Sebastian Bach opérera une synthèse de ces écoles et bâtira une oeuvre d'orgue à nulle autre pareille, à la fois magistral aboutissement et démonstration unique du génie humain.
En France, la plupart des compositeurs baroques étaient à la fois clavecinistes et organistes, ce qui explique une écriture très ornementée, voire colorée comme celle de Louis-Nicolas Clérambault. La facture d'orgues française accorde alors une large place aux jeux d'anches, au cornet et autres mutations. François Couperin nous laisse deux messes basées sur le principe de la suite, utilisée dans presque tous les livres d'orgue de cette époque et répondant au Cérémonial de l'Eglise de Paris: Grand Plein-Jeu, offertoire sur les Grands Jeux, récits, tierces en taille duos... A cela s'ajoute, dès la fin du XVII°, la tradition des noëls illustrée notamment par Jean-François D'Andrieu et Michel Corrette.
Après une époque de transition assez pauvre musicalement, Alexandre Boëly, par sa science du contrepoint et sa technique du pédalier, défend un certain style classique. Il en va de même de Felix Mendelssohn qui se situe dans la tradition de Bach, apportant aux formes traditionnelles de la sonate, du prélude et fugue ou du choral, une écriture pianistique et une harmonie ancrées dans le XIX° siècle. La période romantique, avec l'avènement du grand orgue de Cavaillé-Coll, ses anches puissantes, ses nombreux jeux de fonds, sa boîte expressive, permettra aux meilleurs compositeurs de l'époque, souvent excellents organistes, de développer une littérature spécifique caractérisée par la virtuosité, l'utilisation de la technique du piano, et usant de véritables couleurs orchestrales, même si les formes anciennes subsistent toujours, utilisées comme moyens et non comme références absolues. Parmi ces compositeurs, nous trouvons César Franck, Johannes Brahms et Max Reger. Le premier jettera magistralement les bases de ce que sera l'orgue symphonique français, le second écrira pour l'orgue en deux périodes éloignées de sa vie dans des styles très différents, et le troisième nous laissera de vastes fresques tourmentées. Quant à Franz Liszt, ses grandes pièces, superbes manifestations de l'esprit romantique, témoignent d'une parfaite connaissance des possibilités, poussées à l'extrême, de l'instrument à tuyaux.
Dans notre pays, des organistes tels que Camille Saint-Saëns, Louis Vierne, Eugène Gigout, Léon Boëllmann, Charles-Marie Widor établiront définitivement la réputation de notre école d'orgue dans le monde entier. Camille Saint-Saëns est celui qui, marqué par l'enseignement du rigoureux François Benoist au Conservatoire, observera la plus grande économie de moyens. Louis Vierne, à la fois architecte et mélodiste, a sans doute utilisé l'orgue symphonique de la façon la plus aboutie qui soit alors que Charles-Marie Widor se tourne résolument vers l'orgue-orchestre. Charles Tournemire, l'un des premiers à rejouer Buxtehude ou Grigny, se servira de cet instrument pour forger un langage à bien des égards d'une étonnante modernité, mariant habilement le grégorien et de réelles hardiesses harmoniques. D'autres petits maîtres français comme Henri Mulet, élève de Louis Vierne, ou Jules Grison à Reims perpétueront ce courant symphonique. Quant à Marcel Dupré, le souvenir du compositeur, aujourd'hui, cède souvent la place, ce que l'on peut regretter, à celui du pédagogue, du virtuose et du formidable improvisateur qu'il fut également. Trois autres noms ont contribué à la renommée de l'école française d'orgue: Jehan Alain, au langage harmonique et rythmique si personnel, Maurice Duruflé, profondément original avec les moyens de tout le monde, pour reprendre l'expression d'André Fleury, et Olivier Messiaen, père de la musique d'orgue contemporaine. Parallèlement à l'évolution du langage, la facture d'orgue suivra le même chemin, de façon parfois cahoteuse. De même que cornets, mixtures et mutations cédèrent la place, au XIX° siècle, aux jeux ondulants, aux nombreux fonds de 8 pieds, aux batteries d'anches, et la transmission mécanique à l'électricité ou au pneumatique, l'orgue dit "néo-classique", avec lequel certains pensaient pouvoir aborder toutes les musiques, voit réapparaître des jeux qui avaient fait la gloire des Clicquot et autres Isnard, consacrés, encore plus tard, par l'orgue néo-baroque qui condamnera à son tour les voix célestes et les flûtes harmoniques. Enfin, il faudrait encore citer Joseph Jongen, proche à la fois de Nicolas-Jacques Lemmens et de Charles-Marie Widor, et plus près de nous, Herbert Murrill, auteur de grandes pages néo-victoriennes, autres représentants, à l'étranger, du courant symphonique soutenu par des facteurs tels que Walcker, Hill ou Willis.
Compositeurs, facteurs d'orgues, interprètes ont donc, ensemble, écrit cette prodigieuse histoire de l'orgue, qui mêle esthétique, mécanique et musique.

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